Les femmes sont omniprésentes dans l’œuvre deMaupassant comme elles le furent dans sa vie. Il n’est donc pas étonnant derencontrer deux personnages féminins importants dans Pierre et Jean, chacun illustrant une des facettes du regard deMaupassant sur la femme. Aux portraits de Louise Roland et Mme Rosémillys’ajoute celui d’un type particulier de femme, redouté de Maupassant, celui de lafemme qui capture l’homme, qui le considère comme une proie.
Le personnage féminin majeur de Pierre etJeanest Louise Roland. Ses deux fils ont d’elle l’image d’une saintefemme, épouse et mère dévouée. Cette image vole en éclats quand on apprend laliaison qu’elle a entretenue, des années durant, avec Léon Maréchal. Il n’estpas douteux que le personnage de Louise Roland soit directement inspiré de lapropre mère de Guy de Maupassant, Laure Le Poitevin. Femme intelligente,cultivée, amie de Gustave Flaubert, elle initia son fils à la littérature.Proche de ses fils comme Louise l’est de Pierre et Jean, Laure Le Poitevinétait malheureuse en ménage, supportant mal l’infidélité de son mari, Gustavede Maupassant. L’insatisfaction justifiée qu’elle éprouve relativement à sa vieconjugale est un trait qu’elle partage avec Louise. La sympathie de Maupassantpour Louise, enfermée dans un mariage comme une condamnée dans un cachot, nefait guère de doutes. Quand la nouvelle de la liaison coupable éclate, c’est l’imaged’une sainte femme qui disparaît, et les réactions de ses fils se trouvent êtrediamétralement opposées. Le chagrin de Pierre et sa déception sont à l’échellede l’amour qu’il éprouve pour sa mère : immense, au point de ternirirrémédiablement, dans son esprit, l’image de Louise, qui n’est plus la saintequ’il imaginait, mais une femme comme les autres. La nature de Jean, pluspaisible, lui permet de laisser parler sa tendresse : il ne blâme pas samère, mais la console, craignant de la voir quitter le domicile conjugal. Defait, l’épouse infidèle demeure sous le toit de son mari. Mais n’a-t-elle pasgagné ce droit, après avoir passé tant d’années sous la coupe de GérômeRoland ? Sa liaison avec Maréchal fut la seule éclaircie dans une vied’une profonde obscurité, ainsi qu’elle l’explique à ses fils :« Sans vous, ce serait vide, noir et vide, comme la nuit ». À aucunmoment Maupassant ne blâme cette femme, prisonnière d’un mariage qui lui futimposé, enchaînée à un mari qui la désole, en un mot : une victime, commele fut Laure Le Poitevin.
Le personnage de Mme Rosémilly est trèsdifférent. Pierre la considère comme une « petite dinde », mais laqualifie en même temps de « raisonnable ». Sur ce dernier point,Pierre a raison. Jeune veuve de vingt-trois ans, Mme Rosémilly estindépendante, propriétaire de sa maison, maîtresse de ses revenus. Dans unesociété encore patriarcale, elle jouit d’une enviable indépendance, quil’autorise à ne dépendre de personne. Le lecteur croise dans les nouvelles etromans de Maupassant d’autres femmes qui entendent mener leur vie à leur guise,sans jamais dépendre d’un mari, à l’image de Madeleine Forestier dans Bel-Ami, laquelle non seulement vit àsa guise, mais mène en outre ses maris et fait leur carrière. Mme Rosémilly netravaille pas et n’aspire pas à une autre reconnaissance sociale que cellequ’apporte le mariage. Elle entend cependant choisir qui bon lui semble :elle ne souhaite pas se trouver enfermée dans une prison semblable à celle queconnaît Louise Roland. C’est avec circonspection qu’elle choisit son mari. Lavie avec Pierre serait peut-être plus imprévue que celle avec Jean, mais MmeRosémilly ne recherche pas l’aventure. La soudaine fortune de Jean la pousse àchoisir ce gros garçon raisonnable. C’est donc en toute indépendance, en femmelibre que Mme Rosémilly fait son choix. Maupassant ne la blâme pas ni nel’approuve : il peint, de façon réaliste, le portait de celle qui échappeau triste sort que connaît Louise Roland et qu’a connu Laure Le Poitevin.
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Le regard nuancé de Maupassant sur les femmes
Les femmes sont omniprésentes dans l’œuvre deMaupassant comme elles le furent dans sa vie. Il n’est donc pas étonnant derencontrer deux personnages féminins importants dans Pierre et Jean, chacun illustrant une des facettes du regard deMaupassant sur la femme. Aux portraits de Louise Roland et Mme Rosémillys’ajoute celui d’un type particulier de femme, redouté de Maupassant, celui de lafemme qui capture l’homme, qui le considère comme une proie.
Le personnage féminin majeur de Pierre etJeanest Louise Roland. Ses deux fils ont d’elle l’image d’une saintefemme, épouse et mère dévouée. Cette image vole en éclats quand on apprend laliaison qu’elle a entretenue, des années durant, avec Léon Maréchal. Il n’estpas douteux que le personnage de Louise Roland soit directement inspiré de lapropre mère de Guy de Maupassant, Laure Le Poitevin. Femme intelligente,cultivée, amie de Gustave Flaubert, elle initia son fils à la littérature.Proche de ses fils comme Louise l’est de Pierre et Jean, Laure Le Poitevinétait malheureuse en ménage, supportant mal l’infidélité de son mari, Gustavede Maupassant. L’insatisfaction justifiée qu’elle éprouve relativement à sa vieconjugale est un trait qu’elle partage avec Louise. La sympathie de Maupassantpour Louise, enfermée dans un mariage comme une condamnée dans un cachot, nefait guère de doutes. Quand la nouvelle de la liaison coupable éclate, c’est l’imaged’une sainte femme qui disparaît, et les réactions de ses fils se trouvent êtrediamétralement opposées. Le chagrin de Pierre et sa déception sont à l’échellede l’amour qu’il éprouve pour sa mère : immense, au point de ternirirrémédiablement, dans son esprit, l’image de Louise, qui n’est plus la saintequ’il imaginait, mais une femme comme les autres. La nature de Jean, pluspaisible, lui permet de laisser parler sa tendresse : il ne blâme pas samère, mais la console, craignant de la voir quitter le domicile conjugal. Defait, l’épouse infidèle demeure sous le toit de son mari. Mais n’a-t-elle pasgagné ce droit, après avoir passé tant d’années sous la coupe de GérômeRoland ? Sa liaison avec Maréchal fut la seule éclaircie dans une vied’une profonde obscurité, ainsi qu’elle l’explique à ses fils :« Sans vous, ce serait vide, noir et vide, comme la nuit ». À aucunmoment Maupassant ne blâme cette femme, prisonnière d’un mariage qui lui futimposé, enchaînée à un mari qui la désole, en un mot : une victime, commele fut Laure Le Poitevin.
Le personnage de Mme Rosémilly est trèsdifférent. Pierre la considère comme une « petite dinde », mais laqualifie en même temps de « raisonnable ». Sur ce dernier point,Pierre a raison. Jeune veuve de vingt-trois ans, Mme Rosémilly estindépendante, propriétaire de sa maison, maîtresse de ses revenus. Dans unesociété encore patriarcale, elle jouit d’une enviable indépendance, quil’autorise à ne dépendre de personne. Le lecteur croise dans les nouvelles etromans de Maupassant d’autres femmes qui entendent mener leur vie à leur guise,sans jamais dépendre d’un mari, à l’image de Madeleine Forestier dans Bel-Ami, laquelle non seulement vit àsa guise, mais mène en outre ses maris et fait leur carrière. Mme Rosémilly netravaille pas et n’aspire pas à une autre reconnaissance sociale que cellequ’apporte le mariage. Elle entend cependant choisir qui bon lui semble :elle ne souhaite pas se trouver enfermée dans une prison semblable à celle queconnaît Louise Roland. C’est avec circonspection qu’elle choisit son mari. Lavie avec Pierre serait peut-être plus imprévue que celle avec Jean, mais MmeRosémilly ne recherche pas l’aventure. La soudaine fortune de Jean la pousse àchoisir ce gros garçon raisonnable. C’est donc en toute indépendance, en femmelibre que Mme Rosémilly fait son choix. Maupassant ne la blâme pas ni nel’approuve : il peint, de façon réaliste, le portait de celle qui échappeau triste sort que connaît Louise Roland et qu’a connu Laure Le Poitevin.