Dans une première partie, on pourrait se demander si un idéal de perfection était nécessaire à l’éducation de l’individu et si un tel idéal avait un sens, auquel cas le reproche à nous-mêmes est légitime. S’il est effectivement nécessaire, puisque l’humain est capable de progrès, néanmoins il trouve ses limites dans celles de la morale au sens le plus trivial du terme, la bonne éducation dont l’excès conduit au conformisme social et intellectuel. Par ailleurs, dans l’ordre moral un tel idéal de perfection n’existe pas, il n’a pas de sens : il faut assumer les choix qui sont les nôtres. Il n’est donc pas possible de nous reprocher ce que nous sommes dans la mesure où, moralement, nous choisissons librement d’être ce que nous sommes. La liberté va contre l’idée d’une perfection morale.
Ce point peut être contesté dans une seconde partie : après avoir montré que les choix moraux qui nous faisons (collaborer avec l’ennemi par exemple) ne sont jamais exempts de tout reproche, on peut alors défendre l’idée qu’on ne peut éviter un jugement moral sur nos actes. Mais ces actes ne sont-ils pas la conséquence de ce que nous avons toujours été ? Ne peut-on pas parler d’un déterminisme moral ? Nos actes seraient déterminés par l’essence ou la nature profonde de chacun d’entre nous, et ceci expliquerait des choix moralement discutables, qu’on ne pourrait alors nous reprocher. La notion d’inconscient permettrait de penser ce déterminisme archaïque qui conditionne notre existence toute entière et lui donne son sens. Mais celui-ci ne remet pas en cause la possibilité du reproche car notre totale liberté réfute ce déterminisme moral et psychanalytique. On peut à cet égard se référer à la pensée de Sartre avec la notion de psychanalyse existentielle développée dans l’Être et le néant. Nous sommes entièrement responsables de ce que nous avons été et toujours absolument libres.
On peut donc, semble-t-il, nous reprocher ce que nous sommes, que nous soyons déterminés dans notre nature profonde et dans nos actes, ou que nous soyons absolument libres. Le problème reste donc entier : comment la liberté est-elle possible si le reproche lui-même exige la liberté (assumer ce que l’on est et tous ses choix contre tout déterminisme) et en même temps la rejette (devoir de se plier à un idéal moral) ? La solution à ce problème se trouve chez Kant, dans l’idée qu’il y a des devoirs envers nous-mêmes : "Soyez parfaits !". En tant qu’êtres raisonnables c'est-à-dire capable de se donner des fins, nous nous devons à nous-mêmes de rechercher la perfection morale dans l’accomplissement de la pure intention morale, bien que l’on ne puisse que tendre et non pas accéder à cette perfection, dans un progrès continu (Métaphysique des mœurs, II. Doctrine de la vertu, § 21 : Des devoirs envers soi-même dans l’augmentation de sa perfection morale, c'est-à-dire dans une intention purement morale). On peut tirer de la pensée de Kant un certain nombre de réflexions pertinentes pour notre sujet.
Si je n’ai pas à accepter le jugement moral d’autrui sur ce que je suis ou sur l’usage que je fais de ma liberté, par contre ma conscience et au fond ma raison me commandent d’agir conformément à la loi morale pure en évitant le plus possible d’être déterminé par des mobiles sensibles. Ma liberté est donc le fondement du caractère moral de mes actions. Je peux donc conserver l’idée d’un reproche à moi-même de ce que je suis (par rapport à une idée de perfection morale) tout en préservant ma liberté. Ainsi est résolue la contradiction que nous avions dévoilée au cœur de l’idée de reproche.
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Bonjour,
Peut-on nous reprocher ce que nous sommes ?
Dans une première partie, on pourrait se demander si un idéal de perfection était nécessaire à l’éducation de l’individu et si un tel idéal avait un sens, auquel cas le reproche à nous-mêmes est légitime. S’il est effectivement nécessaire, puisque l’humain est capable de progrès, néanmoins il trouve ses limites dans celles de la morale au sens le plus trivial du terme, la bonne éducation dont l’excès conduit au conformisme social et intellectuel. Par ailleurs, dans l’ordre moral un tel idéal de perfection n’existe pas, il n’a pas de sens : il faut assumer les choix qui sont les nôtres. Il n’est donc pas possible de nous reprocher ce que nous sommes dans la mesure où, moralement, nous choisissons librement d’être ce que nous sommes. La liberté va contre l’idée d’une perfection morale.
Ce point peut être contesté dans une seconde partie : après avoir montré que les choix moraux qui nous faisons (collaborer avec l’ennemi par exemple) ne sont jamais exempts de tout reproche, on peut alors défendre l’idée qu’on ne peut éviter un jugement moral sur nos actes. Mais ces actes ne sont-ils pas la conséquence de ce que nous avons toujours été ? Ne peut-on pas parler d’un déterminisme moral ? Nos actes seraient déterminés par l’essence ou la nature profonde de chacun d’entre nous, et ceci expliquerait des choix moralement discutables, qu’on ne pourrait alors nous reprocher. La notion d’inconscient permettrait de penser ce déterminisme archaïque qui conditionne notre existence toute entière et lui donne son sens. Mais celui-ci ne remet pas en cause la possibilité du reproche car notre totale liberté réfute ce déterminisme moral et psychanalytique. On peut à cet égard se référer à la pensée de Sartre avec la notion de psychanalyse existentielle développée dans l’Être et le néant. Nous sommes entièrement responsables de ce que nous avons été et toujours absolument libres.
On peut donc, semble-t-il, nous reprocher ce que nous sommes, que nous soyons déterminés dans notre nature profonde et dans nos actes, ou que nous soyons absolument libres. Le problème reste donc entier : comment la liberté est-elle possible si le reproche lui-même exige la liberté (assumer ce que l’on est et tous ses choix contre tout déterminisme) et en même temps la rejette (devoir de se plier à un idéal moral) ? La solution à ce problème se trouve chez Kant, dans l’idée qu’il y a des devoirs envers nous-mêmes : "Soyez parfaits !". En tant qu’êtres raisonnables c'est-à-dire capable de se donner des fins, nous nous devons à nous-mêmes de rechercher la perfection morale dans l’accomplissement de la pure intention morale, bien que l’on ne puisse que tendre et non pas accéder à cette perfection, dans un progrès continu (Métaphysique des mœurs, II. Doctrine de la vertu, § 21 : Des devoirs envers soi-même dans l’augmentation de sa perfection morale, c'est-à-dire dans une intention purement morale). On peut tirer de la pensée de Kant un certain nombre de réflexions pertinentes pour notre sujet.
Si je n’ai pas à accepter le jugement moral d’autrui sur ce que je suis ou sur l’usage que je fais de ma liberté, par contre ma conscience et au fond ma raison me commandent d’agir conformément à la loi morale pure en évitant le plus possible d’être déterminé par des mobiles sensibles. Ma liberté est donc le fondement du caractère moral de mes actions. Je peux donc conserver l’idée d’un reproche à moi-même de ce que je suis (par rapport à une idée de perfection morale) tout en préservant ma liberté. Ainsi est résolue la contradiction que nous avions dévoilée au cœur de l’idée de reproche.
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