Pensez-vous que le comique soit un moyen pour instruire les hommes ?
Le comique a en effet pour vocation première de faire rire, de changer les idées, de détourner l’homme de son quotidien, de le divertir au sens étymologique du terme.
Pourtant, son rôle ne s’arrête sûrement pas à cette vocation. En effet, on se souvient de la fonction que Molière assignait lui-même à la vis comica : "castigat mores ridendo" : il fustige les mœurs en riant. Le gérondif nous signale ici que le rire est un moyen et non une fin en soi.
En effet dire, le comique est doté d’un véritable pouvoir, son propre est de donner à voir. Si le rire permet une prise de conscience de ce qu’est la société, la nature humaine parce que l'auteur dénonce, qu’il critique ou fustige, il est aussi une arme redoutablement efficace. Tout d’abord parce qu’il fédère, unit le groupe des spectateurs, lequel acquiert une force considérable en se trouvant ligué contre ce dont on rit ou plus exactement on se moque. Le rire transforme le spectateur en une sorte de dissident incontrôlable, c’est la raison pour laquelle le pouvoir en place a toujours surveillé attentivement ce qui se jouait sur les scènes et a si souvent exercé sa censure sur les pièces comiques. On se rappelle que Tartuffe est interdite et que Beaumarchais est incarcéré après la sortie du Mariage de Figaro, c’est dire si le comique est dangereux. Le rire livre un combat dont l’adversaire ne peut sortir vainqueur. Le rire met ce dont on se moque dans une position inférieure. C’est ce que comprend très bien Alceste dans Le Misanthrope lorsqu’il dit à Célimène : "Les rieurs sont de votre côté", reconnaissant par-là que c’est elle qui triomphe de lui.
Enfin, parce que le rire oblige à adopter face à ce qui est représenté sur la scène une position distante, en effet on ne peut adhérer à ce qui nous fait rire, le rire éloigne de l’objet qui le fait naître, il permet que la réflexion s’installe. Certains auteurs ont fait de cette distance un mot d’ordre de leur scène en proposant des représentations de personnages qui soient très éloignés d’un réel modèle humain afin qu’il n’y ait aucune identification possible avec eux. C’est le cas de Jarry par exemple qui nous propose une caricature grossière de la figure du roi sous les traits de son personnage Ubu, roi, brutal, grossier, cupide cynique qui ose dire : "J'ai l'honneur de vous annoncer que pour enrichir le royaume je vais faire périr tous les Nobles et prendre leurs biens". Même si cela semble très éloigné de la réalité le spectateur va vite voir se profiler l’exercice d’un pouvoir autoritaire dont l’histoire nous a appris à de nombreuses époques l’existence. En outre le rire que nous propose Ubu exige aussi une culture certaine pour jouir pleinement de son comique. En effet derrière la pièce se profilent des références à d’illustres devanciers que sont entre autres Rabelais et Shakespeare.
Certains jeux de mots demandent à être analysés pour être compris. Ainsi le comique requiert-il de la culture, de la réflexion, de l’intelligence, une subtilité certaine, d’analyse pour percevoir ce qu’il signifie, et pour qu’il soit vraiment efficace. Loin d’être une arme grossière le rire est un formidable outil de réflexion politique et philosophique. Mais n'est-il pas aussi comme expression d’un malaise voire d’une souffrance ?
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Pensez-vous que le comique soit un moyen pour instruire les hommes ?
Le comique a en effet pour vocation première de faire rire, de changer les idées, de détourner l’homme de son quotidien, de le divertir au sens étymologique du terme.
Pourtant, son rôle ne s’arrête sûrement pas à cette vocation. En effet, on se souvient de la fonction que Molière assignait lui-même à la vis comica : "castigat mores ridendo" : il fustige les mœurs en riant. Le gérondif nous signale ici que le rire est un moyen et non une fin en soi.
En effet dire, le comique est doté d’un véritable pouvoir, son propre est de donner à voir. Si le rire permet une prise de conscience de ce qu’est la société, la nature humaine parce que l'auteur dénonce, qu’il critique ou fustige, il est aussi une arme redoutablement efficace. Tout d’abord parce qu’il fédère, unit le groupe des spectateurs, lequel acquiert une force considérable en se trouvant ligué contre ce dont on rit ou plus exactement on se moque. Le rire transforme le spectateur en une sorte de dissident incontrôlable, c’est la raison pour laquelle le pouvoir en place a toujours surveillé attentivement ce qui se jouait sur les scènes et a si souvent exercé sa censure sur les pièces comiques. On se rappelle que Tartuffe est interdite et que Beaumarchais est incarcéré après la sortie du Mariage de Figaro, c’est dire si le comique est dangereux. Le rire livre un combat dont l’adversaire ne peut sortir vainqueur. Le rire met ce dont on se moque dans une position inférieure. C’est ce que comprend très bien Alceste dans Le Misanthrope lorsqu’il dit à Célimène : "Les rieurs sont de votre côté", reconnaissant par-là que c’est elle qui triomphe de lui.
Enfin, parce que le rire oblige à adopter face à ce qui est représenté sur la scène une position distante, en effet on ne peut adhérer à ce qui nous fait rire, le rire éloigne de l’objet qui le fait naître, il permet que la réflexion s’installe. Certains auteurs ont fait de cette distance un mot d’ordre de leur scène en proposant des représentations de personnages qui soient très éloignés d’un réel modèle humain afin qu’il n’y ait aucune identification possible avec eux. C’est le cas de Jarry par exemple qui nous propose une caricature grossière de la figure du roi sous les traits de son personnage Ubu, roi, brutal, grossier, cupide cynique qui ose dire : "J'ai l'honneur de vous annoncer que pour enrichir le royaume je vais faire périr tous les Nobles et prendre leurs biens". Même si cela semble très éloigné de la réalité le spectateur va vite voir se profiler l’exercice d’un pouvoir autoritaire dont l’histoire nous a appris à de nombreuses époques l’existence. En outre le rire que nous propose Ubu exige aussi une culture certaine pour jouir pleinement de son comique. En effet derrière la pièce se profilent des références à d’illustres devanciers que sont entre autres Rabelais et Shakespeare.
Certains jeux de mots demandent à être analysés pour être compris. Ainsi le comique requiert-il de la culture, de la réflexion, de l’intelligence, une subtilité certaine, d’analyse pour percevoir ce qu’il signifie, et pour qu’il soit vraiment efficace. Loin d’être une arme grossière le rire est un formidable outil de réflexion politique et philosophique. Mais n'est-il pas aussi comme expression d’un malaise voire d’une souffrance ?