lea9a9303
tt le monde sais que personne reprend les cours demain
wiamamri
Vraiment la guerre est une chose bien bizarre […]. Ces 18 mois passés ici ont été très durs […]. Je le sens par tout, par mes lettres qui sont de plus en plus longues à ceux que j’écris. C’est formidable ce que j’aurai écrit pendant cette guerre. Heureusement que j’avais cette diversion. J’y serais crevé sans cela […]. Jane a de moi 30 lettres par mois, des lettres quelquefois de six pages. Toi, tu en as pas mal. Mare quelques-unes aussi et d’autres à des étrangers […]. J’ai un très grand plaisir à écrire. C’est le seul que j’aie […]. Ça me donne de l’air, comprends-tu, je respire mieux. […] J’ai besoin de cela. Il faut que je le fasse » [1][1] Fernand Léger, Une correspondance de guerre, Les Cahiers.... 3 Nombre de soldats pourraient dire la même chose. On a estimé que plus de 1000 lettres par combattant ont été écrites : une lettre par jour en moyenne pendant les quatre années de guerre, parfois plusieurs le même jour [2][2] Mots, n° 24,1990, p. 44.. Alors que la lettre était encore rare au XIXe, et que la pratique épistolaire ne concernait qu’une part infime de la société, la Grande Guerre a beaucoup fait écrire, ouvrant ainsi un accès exceptionnel à la parole des anonymes, des habituellement muets de l’histoire. 4 Ces lettres, où les combattants ont fait un immense effort pour consigner leur expérience, peuvent être considérées dans leur valeur documentaire. La lettre est en effet particulièrement intéressante en ce qu’elle donne l’illusion d’une écriture qui resterait au plus près de l’événement, écriture sans recul, livrant au jour le jour des impressions brutes et immédiates, rares et précieuses pour l’historien. La lettre serait une forme de témoignage à l’état natif, comme écrit sous la dictée des choses. Je mettrai cependant l’accent ici non sur le souci de rendre compte, à l’arrière, d’une expérience littéralement inouïe — celle du dépassement d’un seuil de violence et de barbarie jusque-là jamais atteint —, mais sur les fonctions psychiques, le rôle, souvent vital, que remplit l’écriture de la lettre pour le combattant de la Grande Guerre. 5 Dans cette guerre — guerre de masse, guerre de tranchées —, où toute existence séparée est quasiment impossible, la lettre apparaît comme une façon de préserver sa singularité, de se déprendre de l’étreinte mortelle du collectif. C’est un objet d’autant plus frappant que les auteurs n’appartiennent pas tous, loin de là, à des milieux où l’on a l’habitude d’écrire, et encore moins d’écrire de soi. Or, dans ces lettres, on assiste au surgissement massif d’une écriture à la première personne et à la conquête paradoxale d’une prise de conscience de soi, de son être intime, dans le cadre d’une vie collective imposée : « Pour moi, je n’ai de vie propre qu’au moment où je suis avec toi », écrit Eugène-Emmanuel Lemercier à sa mère le 17 novembre 1914 [3][3] Eugène-Emmanuel Lemercier, lettre du 17 novembre 1914,.... 6 La lettre de guerre permet d’abord de garder un contact avec le monde des « normalement vivants », ou de le rétablir, de réparer les déchirures dans le temps et dans l’espace, la guerre imposant un brutal arrachement non seulement aux siens, au monde qui forme sa quotidienneté mais aussi à un système de représentations, à un univers de pensées. 7 « Tu ne peux t’imaginer … » est un leitmotiv des lettres. Décrivant « le désert avec rien du tout de vivant autour de soi » qu’est devenu le paysage de Verdun fin octobre 1916, F. Léger écrit :
Lista de comentários