Je cours. Je dévale la colline en serrant mon échelle. Je n’en reviens pas que nous soyons si nombreux. Je dépasse des hommes qui soufflent comme moi, avec la même rage. Je cours. Je vais vite. Je suis jeune. Il faut se frayer un passage dans la foule. Tout le monde a les yeux rivés sur la barrière. Les gardes espagnols ont réalisé maintenant. Ils hurlent dans la nuit. Que disent-ils ? Est-ce qu’ils nous ordonnent de nous arrêter ? Rien ne nous arrêtera. Certains d’entre eux se mettent à tirer en l’air. Des coups de sommation certainement. Pour nous intimider. Leurs balles ne nous font pas peur. Ils n’en auront pas suffisamment pour chacun d’entre nous. Je serre fort mon échelle. Je suis maintenant à quelques mètres de la barrière. Je la plaque contre les barbelés. Je n’ai pas le temps de regarder si elle atteint le sommet, je commence à monter. Des dizaines d’autres échelles jaillissent partout autour de moi. Les plus jeunes d’entre nous sont arrivés. L’assaut a commencé. Je monte à toute vi- tesse. Les barreaux ne cèdent pas mais l’échelle est trop courte. Il reste presque un mètre à franchir. Je m’agrippe au fil qui me fait saigner les mains. Cela n’a pas d’importance. Je veux passer. J’ai le souffle court. Les bras me tirent. Je dois tenir. La barrière est secouée de mouvements incessants. Elle se tord et grince de tous ces doigts qui l’agrippent. Je suis en haut. Il ne me reste plus qu’à passer la jambe pour descendre de l’autre côté. C’est alors qu’ils ont commencé à tirer des grenades lacrymogènes dans le tas indistinct des assaillants. J’entends les cris de ceux qui se cachent les yeux et suffoquent. Mais il y a pire. Les véhicules de police marocaine arrivent en trombe et nous prennent à revers. Nous sommes maintenant coincés entre les Marocains et la grille. Il faut monter. Il n’y a plus d’autre solution. J’entends des coups de feu. Des corps tombent. C’est alors que je vois Boubakar, sur une échelle, à quelques mètres de moi.
A mi-chemin entre la terre et le sommet. Il ne bouge plus. Il est ac- croché aux barbelés et ne parvient pas à s’en défaire. Des assaillants, sous lui, commencent à hurler. Ils veulent l’agripper pour le faire tomber et qu’il cède la place. Je ne réfléchis pas. Je descends dans sa direction. En quelques secondes, je suis sur lui et arrache la manche de son pull. Il me regarde avec étonnement. Comme un chien regarde la lune. Je lui hurle de se dépêcher. Il reprend son ascension. Nous sommes tous les deux au sommet, maintenant. Il faut faire vite. La panique s’est emparée de ceux qui sont encore à terre. Pour échapper aux coups des Marocains, ils montent en maltraitant ceux qu’ils dépassent. Chacun tente de sauver sa vie. Je fais passer la jambe morte de Boubakar au-dessus du grillage et nous descendons de l’autre côté. Les bras me tirent, je n’ai plus de force et me laisse tomber. Je chute. Je sens l’impact dur du sol. Les genoux qui me rentrent dans le ventre. Je suis fatigué mais je sens sous moi cette terre nouvelle et cela me donne une force de conquérant. Nous y sommes presque. Il ne reste plus qu’une grille à monter. Boubakar est à mes côtés. Je le sens 35 respirer comme un gibier après la course. Nous sommes tous les deux là. Je voudrais sourire car je me sens une force de titan. J’ai sauté sur l’Europe. J’ai enjambé des mers et sauté par- dessus des montagnes. Je voudrais embrasser Boubakar mais nous n’avons pas le temps. Il reste une grille à franchir. Il se relève en même temps que moi. A cet instant, le but nous semble proche. Nous ne nous doutons pas que le pire est à venir.
Questions:
1. De « je cours » ligne 1 à « autour de moi »: que ressentent les migrants, dont Soleiman, avant l’assaut ? Justifiez en relevant deux exemples dans le texte.
2. Comment les gardes espagnols et marocains sont-ils perçus et décrits par Soleiman ? Relevez quelques exemples dans l’ensemble du texte.
3. La violence de l’assaut : a. Relevez trois expressions appartenant au champ lexical de la violence que subissent les migrants au cours de l’assaut. b. Cette violence n’est-elle que le fait des gardes ? Expliquez votre réponse.
4. De « Je suis fatigué mais... » à « ... des montagnes. » : a. Quel est l’état d’esprit de Soleiman à ce stade du récit ?
b. Justifiez votre réponse en relevant deux procédés différents (figures de style) que vous nommerez.
5. En quoi cet événement transforme-t-il Soleiman en héros ? Plusieurs éléments de réponse sont attendus. Vous répondrez dans un paragraphe structuré, en vous appuyant sur des exemples tirés du texte.