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Bonjour,

Bien chers parents,

Vous écrire n'est pas toujours facile, dans nos tranchées, nous sommes harcelés jour et nuit, et quand nous avons une pause,  je me repose, je m'endors quasiment debout, les  pieds dans la boue, appuyé contre les parois , inutile de parler de douche, la seule que l'on ait, c'est la pluie, et elle est très fréquente ici .

On nous appelle "les poilus" , quelle dérision! Comment se raser  avec un casque en permanence sur la tête (  les poux et les puces sont au moins à l'abr) ,   la dernière fois, c'était il y a environ un mois , quand j'ai pu retourner quelques jours à l'arrière pour faire soigner un abcès au pied ,mais, tout va bien maintenant . On soigne les pieds et les mains, mais pas la tête  et le coeur. Tout est difficile, on mange froid, on dort peu, on est dans l'humidité,   plus sale que les cochons de la ferme,  les bombes  sont plus nombreuses que les éclairs,  les rats sont partout , un voisin de tir  a vu sa cartouchière rongée par ces sales bêtes même si on  faim, il ne l'aurait pas rongé lui-même. Je rêve d'un lit, même un peu dur, des draps parfumés de maman , de sa tarte du dimanche .

Dès le lever du jour, si la nuit a été tranquille les pilonnages commencent, on fait le gros dos, mais chaque jour, des copains tombent,

morts, on ne les entend plus,  blessés, ce sont des hurlements auxquels on ne s'habitue pas ,  à quand mon tour?  Nos armes sont loin d'être aussi efficaces  que les leurs , alors ,  on monte au front pour la gloire de nos gradés, baïonnette au canon,  et on ne va pas bien loin, c'est impossible ,  je les ai entendus rire de nos efforts , ceux d'en face! On croirait qu'ils sont de plus en plus nombreux, pourtant, on doit bien en blesser ou tuer quelques uns. Comment pourrait-on gagner ?  Nous sommes des veaux que l'on conduit à l'abattoir, résignés à obéir sous la mitraille. Que font les politiques à l'arrière? La fête? Et pourtant , paraît -il, les  usines d'armement tournent à fond avec les femmes  qui sont bien courageuses.

Lorsque j'ai eu mon abcès , j'ai rencontré Paul ,  il avait été blessé  sur le Mort-Homme , il  a perdu  deux doigts , mais il va bien ,  pas question de le renvoyer chez lui , il sert à la roulante . Je ne sais pas s'il en  a parlé à ses parents, aussi ne dites rien.

Je ne vais pas vous dire de ne pas vous faire de soucis, mais, je n'ai pas envie de mourir , j'essaie donc d'être très prudent, je veux vous revoir,  et aussi Fanny , je veux avoir des enfants , et c'est pour eux que j'accepte encore de combattre, voir des enfants libres, je ne sais même plus ce que  c'est , ceux d'en face doivent en avoir assez autant que nous , alors pourquoi ne pas arrêter?

Je vous embrasse.

PS: Continuez de m'écrire, même si vos lettres arrivent irrégulièrement , elles me donnnent l'envie de me battre et de résister à toute faiblesse.