Bonjour,
je dois faire une explication linéaire.
En approchant de son usine, le père Sorel appela Julien de sa voix de stentor; personne ne répondit. Il ne vit que ses fils aînés, espèce de géants qui, armés de lourdes haches, équarrissaient les troncs de sapin, qu’ils allaient porter à la scie. Tout occupés à suivre exactement la marque noire tracée sur la pièce de bois, chaque coup de leur hache en séparait des copeaux énormes. Ils n’entendirent pas la voix de leur père. Celui-ci se dirigea vers le hangar; en y entrant, il chercha vainement Julien à la place qu’il aurait dû occuper, à côté de la scie. Il l’aperçut à cinq ou six pieds plus haut, à cheval sur l’une des pièces de la
toiture. Au lieu de surveiller attentivement l’action de tout le mécanisme, Julien lisait. Rien n’était plus antipathique au vieux Sorel; il eût peut-être pardonné à Julien sa taille mince, peu propre aux travaux de force, et si différente de celle de ses aînés; mais cette manie de lecture lui était odieuse: il ne savait pas lire lui-même.
Ce fut en vain qu’il appela Julien deux ou trois fois. L’attention que le jeune homme donnait à son livre, bien plus que le bruit de la scie, l’empêcha d’entendre la terrible voix de son père. Enfin, malgré son âge, celui-ci sauta lestement sur l’arbre soumis à l’action de la scie, et de là sur la poutre transversale qui soutenait le toit. Un coup violent fit voler dans le ruisseau le livre que tenait Julien; un second coup aussi
violent, donné sur la tête, en forme de calotte, lui fit perdre l’équilibre. Il allait tomber à douze ou quinze pieds plus bas, au milieu des leviers de la machine en action, qui l’eussent brisé, mais son père le retint de la main gauche, comme il tombait:
— Eh bien, paresseux! tu liras donc toujours tes maudits livres, pendant que tu es de garde à la scie?
Lis-les le soir, quand tu vas perdre ton temps chez le curé, à la bonne heure.
Julien, quoiqu’étourdi par la force du coup, et tout sanglant, se rapprocha de son poste officiel, à côté de la scie. Il avait les larmes aux yeux, moins à cause de la douleur physique, que pour la perte de son livre qu’il adorait.
Stendhal, Le Rouge et le Noir, première partie, chapitre 4 (1830)
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Bonsoir !
Explication linéaire de l'extrait du "Rouge et le Noir" de Stendhal :
L'extrait issu du roman "Le Rouge et le Noir" de Stendhal dépeint une scène où le père Sorel surprend son fils Julien en train de lire un livre au lieu de surveiller le fonctionnement de la scie dans l'usine familiale. Cette situation met en lumière la confrontation entre le monde du travail manuel et celui de la lecture, soulignant le désaccord entre le père, attaché aux travaux de force, et le fils, passionné par la lecture.
La scène s'ouvre sur le père Sorel appelant Julien de façon retentissante, sans succès. Les aînés de Julien, occupés à équarrir du bois, ne l'entendent pas non plus, absorbés par leur tâche. Le père, en cherchant Julien, le découvre en train de lire, installé sur la toiture au lieu de surveiller la scie comme il le devrait. Cette attitude contrarie profondément le père Sorel, qui voit la lecture comme une perte de temps, en particulier pendant les heures de travail.
Le père Sorel, irrité par l'indifférence de Julien à ses appels, prend des mesures drastiques. Il fait tomber le livre de Julien et lui assène un coup sur la tête pour le ramener à ses obligations. Blessé, Julien retourne rapidement à son poste, attristé non seulement par la douleur physique mais aussi par la perte de son livre bien-aimé.
Cette scène met en exergue le conflit générationnel entre un père ancré dans le travail manuel et son fils, plus attiré par la lecture et la connaissance intellectuelle. Stendhal met en contraste deux mondes, celui du labeur physique et celui de l'intellect, pour illustrer les tensions sociales et familiales de l'époque, ainsi que les désaccords entre les aspirations des générations différentes.