[BREVET 2018 - FRANCAIS]
Bonjour ;)
La scène se déroule, après la seconde guerre mondiale, dans la ville de Blémont qui a subi d’importantes destructions.
Léopold s’assura que la troisième était au complet. Ils étaient douze élèves, quatre filles et huit garçons qui tournaient le dos au comptoir. Tandis que le professeur gagnait sa 1 place au fond de la salle, le patron alla retirer le bec de cane à la porte d’entrée afin de 2 s’assurer contre toute intrusion. Revenu à son zinc , il but encore un coup de vin blanc et s’assit sur un tabouret. En face de lui le professeur Didier s’était installé à sa table sous une réclame d’apéritif accrochée au mur. Il ouvrit un cahier, jeta un coup d’œil sur la classe de troisième et dit :
– Hautemain, récitez.
Léopold se pencha sur son siège pour voir l’élève Hautemain que lui dissimulait la poutre étayant le plafond. La voix un peu hésitante, Hautemain commença :
Seigneur, que faites-vous, et que dira la Grèce ?
Faut-il qu’un si grand cœur montre tant de faiblesse ?
– Asseyez-vous, dit le professeur lorsque Hautemain eut fini. Quinze.
Il notait avec indulgence. Estimant que la plupart de ces enfants vivaient et travaillaient dans des conditions pénibles, il voulait les encourager et souhaitait que l’école, autant que possible, leur offrît les sourires que leur refusait trop souvent une existence troublée.
À son zinc, Léopold suivait la récitation des écoliers en remuant les lèvres et avalait anxieusement sa salive lorsqu’il sentait hésiter ou trébucher la mémoire du récitant. Son grand regret, qu’il n’oserait jamais confier à M. Didier, était de ne participer à ces exercices qu’en simple témoin. Léopold eût aimé réciter, lui aussi :
Captive, toujours triste, importune à moi-même,
Pouvez-vous souhaiter qu’Andromaque vous aime ?
Malgré la timidité et le respect que lui inspirait Andromaque, il lui semblait qu’il eût trouvé les accents propres à émouvoir le jeune guerrier. Il se plaisait à imaginer sa voix, tout amenuisée par la mélancolie et s’échappant du zinc comme une vapeur de deuil et de tendresse.
– Les cahiers de préparation, dit le professeur Didier.
Les élèves ayant étalé leurs cahiers, il alla de table en table s’assurer qu’ils avaient exécuté le travail portant sur un autre passage d’Andromaque.
Pendant qu’il regagnait sa place, Léopold se versa un verre de blanc.
– Mademoiselle Odette Lepreux, lisez le texte. [...]
Odette se mit à lire d’une voix claire, encore enfantine, où tremblaient des perles d’eau fraîche :
Où fuyez-vous, Madame ?
N’est-ce point à vos yeux un spectacle assez doux
Que la veuve d’Hector pleurante à vos genoux ?
Sur ces paroles d’Andromaque, la patronne, venant de sa cuisine, pénétra discrètementdans l’enceinte du zinc. Comme elle s’approchait du cafetier, elle eut la stupéfaction de voir les larmes ruisseler sur ses joues cramoisies et interrogea :
– Qu’est-ce que t’as ?
– Laisse-moi, murmura Léopold. Tu peux pas comprendre. [...]
Odette Lepreux poursuivait sa lecture :
Par une main cruelle hélas ! J’ai vu percer
Le seul où mes regards prétendaient s’adresser.
La patronne considérait cet homme étrange, son mari, auquel ses reproches et ses prières n’avaient jamais réussi, en trente ans de vie commune, à tirer seulement une larme. Ne revenant pas de son étonnement, elle oublia une minute ce qu’elle était venue lui dire.
Marcel Aymé,Uranus, 1948
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Compréhension et compétences d’interprétation
1 - Où se déroule la scène ? Qui est Léopold ? Pourquoi la situation présentée peut-elle surprendre ? Justifiez votre réponse.
2 - Comment se manifeste l’intérêt de Léopold pour le cours du professeur Lignes 9 à 20 Didier ? Développez votre réponse en vous appuyant sur trois éléments significatifs.
3 - Lignes d’Andromaque ? Comment l’expliquez-vous ? Développez votre réponse.
4 - Lignes 32 à 39 : Que ressent Léopold quand Odette lit l’extrait d’Andromaque? Justifiez votre réponse en vous appuyant sur une image que vous analyserez.
5a - Par quelles oppositions la scène du film reproduite ci-dessus cherche-t-elle à faire rire le spectateur ? Donnez trois éléments de réponse.
5b - Qu’est-ce qui peut relever également du comique dans la fin du texte (lignes 37 à 47) ?
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Bonjour1. La scène se déroule dans un bar comme l’indiquent de nombreux termes : « comptoir » (l.2), « zinc » (l. 4)... Léopold est le patron du bar ainsi que le précise la ligne 38 et plus particulièrement le terme « cafetier ». La situation présentée peut surprendre puisque Léopold reçoit dans son café une classe « de troisième » (l.1) et leur professeur. Plusieurs expressions appartenant au champ lexical de l’école signalent qu’on assiste à une scène de cours : « élèves » (l. 1), « professeur » (l.2), « récitez » (l. 8), « il notait » (l.14), « la récitation des écoliers » (l. 17)...
2. L’intérêt de Léopold se note tout d’abord à la position qu’il choisit : ainsi se place-t-il de telle façon qu’il lui soit possible de bien « voir » les élèves puisqu’il [se penche] « sur son siège » (l. 9). De plus, le cafetier semble accompagner les élèves, les soutenir dans leur récitation « en remuant les lèvres et [en avalant] sa salive ». Léopold cesse donc toute activité pour [suivre] « la récitation des écoliers » (l. 17).
3. Léopold se met à la place d’Andromaque, il a l’impression qu’il pourrait incarner le personnage tragique et parvenir à convaincre Pyrrhus de renoncer à l’amour qu’il porte à l’héroïne. De la sorte, le cafetier [se plaît] « à imaginer sa voix » (l. 24), pense qu’il aurait « trouvé les accents propres à émouvoir le jeune guerrier » (l. 23-24). Léopold paraît donc être en osmose avec le personnage, il vit la scène comme si elle existait réellement, il donne corps et vie aux personnages de la pièce de théâtre de Racine.
4. Léopold est ému quand Odette lit l’extrait d’Andromaque. En effet, sa femme «[voit] les larmes ruisseler sur ses joues cramoisies » (l. 38-39). Ce sentiment naît de l’innocence avec laquelle Odette déclame les paroles d’Andromaque. Le champ lexical de l’innocence apparaît à travers les adjectifs qualificatifs « claire » et « enfantine » (l. 32) qui précise la voix et à travers la métaphore « où tremblaient des perles d’eau fraîche » qui associe les inflexions de la voix d’Odette à des gouttes d’eau rafraîchissantes.
5. a. Dans ce photogramme tiré d’ « Uranus », le comique naît des oppositions. En effet, Gérard Depardieu, à droite, a le visage levé, les bras ouverts, il paraît absorbé par les paroles qu’il est en train de prononcer et donne l’impression d’être un acteur déclamant son texte. La femme à sa gauche, sans doute son épouse, semble tout à fait hermétique à ce qui se passe derrière elle. Elle ne se retourne pas, ne regarde pas son mari et continue à éplucher des légumes. L’expression de son visage s’oppose aussi à celle de Léopold puisqu’elle a une moue dubitative (bouche tombante, sourcils relevés), qui souligne son incompréhension. Enfin, le lieu lui-même paraît en contradiction avec l’attitude de Léopold : il récite un texte théâtral avec pour décor un comptoir, des verres et des bouteilles, autant d’éléments qui s’accordent mal avec le sujet antique de la pièce de Racine. Le décalage suscite donc le rire.
5. b. La fin du texte peut également paraître comique puisqu’elle montre un Léopold ému aux larmes à l’écoute de la lecture d’Odette alors même que jamais sa femme ne l’a vu pleurer : « en trente ans de vie commune » (l. 46), il n’a jamais versé « seulement une larme » (l. 46). Aussi, la réaction de la femme de Léopold peut sembler comique : le texte insiste sur « la stupéfaction » (l. 38), « l’étonnement » (l. 47) qu’elle éprouve à voir son mari réagir de la sorte. De plus, l’emploi du langage familier (« Qu’est-ce que t’as? », l. 40: élision de « tu ») semble être en décalage avec l’émotion éprouvée par le cafetier.