1 sur 1
L'ILLUSION DU SENTIMENT DE LIBERTÉ
<< J'en conviens, les affaires humaines iraient beaucoup mieux s'il était également au pouvoir de l'homme de se
taire ou de parler. Mais l'expérience montre assez - et au-delà - que les hommes n'ont rien moins en leur pouvoir
que leur langue, et qu'ils ne peuvent rien moins que de régler leurs désirs ; d'où vient que la plupart croient que
nous n'agissons librement qu'à l'égard des choses que nous désirons modérément, parce que le désir de ces choses
peut être facilement contrarié par le souvenir d'une autre chose dont nous nous souvenons souvent ; mais que nous
ne sommes pas du tout libres à l'égard des choses que nous désirons vivement et qui ne peut être apaisé par le
souvenir d'une autre chose. Mais, en vérité, s'ils ne savaient par expérience que nous accomplissons plus d'un acte
dont nous nous repentons ensuite, et que souvent - par exemple quand nous sommes partagés entre des sentiments
contraires-nous voyons le meilleur et suivons le pire, rien ne les empêcherait de croire que nous agissons toujours
librement. C'est ainsi qu'un petit enfant croit désirer librement le lait, un jeune garçon en colère vouloir se venger,
et un peureux s'enfuir. Un homme ivre aussi croit dire d'après un libre décret de l'esprit ce que, revenu à son état
normal, il voudrait avoir tu; de même le délirant, la bavarde, l'enfant et beaucoup de gens de même farine croient
parler selon un libre décret de l'esprit, alors que pourtant ils ne peuvent contenir leur envie de parler.
L'expérience elle-même n'enseigne donc pas moins clairement que les hommes se croient libres pour la seule
raison qu'ils sont conscients de leurs actions et ignorants des causes par lesquelles ils sont déterminés; elle montre
en outre que les décrets de l'esprit ne sont rien en dehors des appétits mêmes, et sont par conséquent variables
selon l'état variable du corps. >>
Spinoza, Éthique (1675), Livre III, scolie de la proposition II,
traduction de R. Caillois, M. Francès et R. Misrahi,
(Bibliothèque de la Pléiade, Éd. Gallimard, 1954, pp. 417-418)
idée générale du texte, merci d’avance !